Rendez-vous à Paris avec Yana Mori

La rentrée littéraire de septembre a été l'occasion de découvrir de beaux livres notamment chez un éditeur que nous aimons beaucoup : Boréalia. Ce dernier a édité un ouvrage poétique en prose narrant l'histoire de Mama Chamana ou mère Nature, notre mère à tous. Mama Chamana peut rassembler les étoiles comme elle peut revêtir la longue cape poussiéreuse de la Mort pour remplacer cette dernière lorsqu'elle se lasse de ses responsabilités. Une lecture pour bien démarrer l'année qui arrive à point nommé car Yana Mori vient à la rencontre de ses lecteurs et des curieux.

Qui est Mama Chamana? C'est une femme et surtout une maman. Elle fait des tartes et tricote des chaussettes, elle rêve aussi d'une vie différente et, même si à son réveil la réalité ne ressemble pas à ses songes, elle continue de rêver... Mais, protéiforme et aux pouvoirs infinis, Mama Chamana est aussi celle qui peut mettre fin aux guerres comme elle peut emmener les orphelins vers la fin du chemin. Au fond, Mama Chamana est un peu sorcière, elle peut ralentir le temps, parler au vent. Les abeilles l'autorisent à récolter leur miel et la saveur douce de celui-ci parfume son thé. Mais parfois, lorsqu'elle prépare son thé, elle renverse la bouilloire et inverse l'ordre du monde. Mama Chamana est aussi fascinante qu'effrayante, elle nous abrite en son sein mais peut aussi nous faire disparaître comme un reste de cendres sur lesquelles on souffle.

Pour découvrir qui est Mama Chamana, rendez-vous avec Yana Mori, auteure du livre Le Chant de Mama Chamana jeudi 19 janvier à partir de 18H30 au Cerwood coffee 8 rue Jean-Baptiste Dumay à Paris (station de métro Jourdain). Réservation souhaitée au 06 07 62 93 77.

Le chant de Mama Chamana, livre de Yana Mori avec des illustrations d'Anasrasia Stepanovaest disponible sur le site de Boréalia.

 

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Dje-buo ! Dje-buo ! Il était une fois quatre récits dans la taïga

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Les éditions Borealia précédemment évoquées sur ce site à l'occasion de la distribution du très beau film Criminel, ont publié en cette rentrée littéraire de nouveaux ouvrages dans leur collection "Les Nordiques". Deux livres de nouvelles courtes L'arbre de vie de Aïssen Doïdou et Altynaï, nouvelles de l'Altaï d'Ilya Kotcherguine ont particulièrement retenu notre attention.

L'arbre de vie ou l'attachement d'un peuple à la nature sauvage

Rédigé par Aïssen Doïdou, auteur né à Yakoutsk en 1941, ce petit recueil a un style cinématographique. Quoi de plus normal pour cet écrivain formé au célèbre VGIK de Moscou et membre du Cheval Blanc, union de poètes d'avant-garde rejetant la ligne du parti soviétique ? Dans ces deux petits récits- L'arbre de vie et Les sapins enneigés, l'auteur de 75 ans observe la vie d'un peuple imprégné par ses traditions originelles, sa nature tantôt bienveillante, tantôt hostile. L'arbre de vie est une formidable leçon sur la pugnacité d'un peuple qui se bat pour protéger un arbre sacré contre le projet de l'abattre pour créer une route. Un peuple éloigné du nôtre où les gardes-forestiers restent les garants de la préservation de la nature sauvage. D'ailleurs cette nature, plus que le décor de cette nouvelle où les images sont vivaces, est un réel personnage. Les arbres, plus précisément cet arbre, imposent leur puissance et sont un chemin vers les esprits, les Aïyy ces esprits créateurs protégeant une certaine catégorie d'humains. L'histoire qui se débute par les funérailles d'une vieille femme (Kétèris), jadis d'une beauté et d'une sagesse renommées, s'achève dans la renaissance ou l'abandon d'un projet de destruction par la contemplation de l'arbre, l'invulnérable mélèze.

Le second récit Les sapins enneigés débute dans un hôpital et décrit la difficile adaptation d'un homme, Okhonoon qui suite à un accident se retrouve dans un hôpital  puis au sein de la famille de son fils. Peu habitué au confort de la grande ville et à ses rituels, seul son chien reste le lien avec sa vie d'homme du Grand Nord ; une vie de débrouille où le mois de janvier voit parfois le mercure descendre jusqu'à -65°. Plus qu'un voyage d'un monde à l'autre, c'est un voyage intérieur auquel nous invite le périple d'Okhonoon. L'écriture de Doïdou très visuelle, nous montre l'antagonisme entre ce monde citadin et celui du Grand Nord notamment grâce à l'évocation du terrible combat opposant le chien du héros avec les chiens "de la ville". Combat dont on sent la rudesse, les ahans de ces créatures. De retour dans sa cabane de chasseur et ce malgré les difficultés, il pourra retrouver ce sentiment puissant qu'est celui de la vie.

Altynaï nouvelles de l'Ataï

L'auteur de ce recueil de nouvelles, Ilya Kotcherguine est né à Moscou mais a quitté la ville pour devenir garde-forestier dans la république d'Altaï où il a pu observer et se familiariser avec les traditions et de ses peuples. La proximité de cette république avec le Kazakhstan, la Chine et la Mongolie en fait un endroit pluriel où diverses cultures se côtoient. À la lecture de ces récits on peut bien évidemment penser au film Urga de Nikita Mikhalkov où un homme échoue dans une région loin des rites moscovites mais va rapidement en épouser tous les us, les coutumes et rapidement s'enrichir de cette rencontre. Car si l'on ne peut pas nier les différences entres les hommes vivant dans ces contrées éloignées, passée la découverte de l'inconnu il n'y a pas de réelle dichotomie entre les uns et les autres. Ce qui marque le plus dans ces récits autobiographique est, une fois encore, la vision animiste des peuples de l'Altaï où hommes, animaux et éléments naturels vivent en harmonie (ou non). Si les années 30 en Russie ont hélas, vu une volonté de conversion de ces peuples à la culture russo-européenne, elle est aujourd'hui source de curiosité et d'ntérêt.

Le récit éponyme Altynaï décrit la vie de deux hommes accompagnés dans leur périple par des femmes dont Altynaï. Notons que la présence des femmes assez anedotique et souvent dont le seul intérêt est domestique, est rare. Mais Altynaï, "jeune femme aux yeux à demi bridés" est romue à cette vie, en connaît les dangers comme les présents. Dans une scène où les héros se reposent dans un endroit où grouillent des souris, elle n'hésitera pas à les tuer à coups de couteau ou à mains nues. Son visage la plupart du temps impassible voire inexpressif trouvera une expression de colère lorsque les personnages à cheval se retrouveront embourbés à cheval près d'un passage. Concernant cet instant du récit où les héros chasseurs sont en quête de viande, on se demande s'il s'agit d'un moment rêvé (rêve ? Cauchemar ? La frontière est ténue) ou non. Un beau portrait de femme, insondable, dure et presque irréelle.

Le second récit Dire au revoir est certainement celui décrivant le mieux l'antagonisme entre les personnes vivant au sein de la nature sauvage et ceux qui y sont extérieur. Au-delà de la Sibérie, Lialia et sa grand-mère Tania doivent traverser ce long chemin parsemé de forêts de bouleaux, de cabanes (les ails) afin de rendre visite au fils/père de ces deux femmes. Là, la vie est rude : le froid, l'hostilité des animaux mais aussi la tentation de l'alcool est grande. Le récit montre néanmoins la solidarité, l'amitié et l'amour que portent à la nature ces hommes qui ont choisi le grand froid. L'inquiétude, les craintes de Tania face à la vie de son fils sont admirablement traduit par un état intérieur qui n'est pas sans rappeler les récits appartenant au stream of consciousness. Le voyage est double encore ; pourrait-il se prolonger ou bien est-ce celui que l'on effectue avant que la mort ne nous emporte ? Dire au revoir serait en ce sens à double sens : dire au revoir à un être cher qui vit loin, très loin ou bien dire au revoir avant de se quitter définitivement.

Le travail des éditions Borealia et leurs projets à venir

Il est important de souligner le travail effectué par Borealia principalement par sa fondatrice, Émilie Maj. Cette dernière part régulièrement en Yakoutie et a créé des liens avec ce peuple dont elle a étudié les coutumes. Non seulement son travail permet la découverte d'un peuple et de sa littérature, lesquels nous restent méconnus mais de plus elle traduit et préface la plupart des ouvrages qu'elle sélectionne. Dans le cadre de son Doctorat, elle a étudié la symbolique du cheval chez les Yakoutes, un animal particulièrement important pour ce peuple. Depuis le 6 ocobre et jusqu'à demain, 12 octobre elle sera présente pour la quatrième édition de la semaine de la Sibérie dont tous les détails sont disponibles en suivant ce lien : http://www.borealia.eu/evenements/

La boutique en ligne de Borealia se trouve ici : http://www.borealia.eu

N'hésitez pas à soutenir cette petite maison d'édition qui propose un regard neuf et curieux sur des contrées méconnues pour qu'elles nourissent notre imaginaire !


"Moulin volant" de Nadya Anfalova au Moulin Jaune

Nadya Anfalova, une des plasticiennes qu'Art Datch a le plaisir d'exposer depuis l'année dernière, a réalisé en avril une installation au Moulin Jaune. Appelée "Moulin volant", cette installation réunit l'air et l'eau dans une métaphore poétique et a été une oeuvre éphémère dans le cadre d'une fête éponyme. 

Le jardin du Moulin jaune, quant à lui, labellisé “Jardin remarquable” par le Ministère de la Culture en décembre 2014, est un parc composé de plusieurs jardins qui sont autant de laboratoires artistiques. Chacun a sa dominante de couleur, ses petits espaces scéniques et sa cabane pour travailler, s’évader, dormir ou jouer… Ce lieu poétique ouvre ses portes au public plusieurs fois par an pour des fêtes en plein air. Tout y est prétexte à la magie. Un lieu qui vaut certainement le détour !

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Criminel, un film à ne pas manquer !

Criminel, beauté et rudesse des paysages et des hommes

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À l'origine, l'histoire de Criminel (Nakhodka, "la trouvaille" en français) est fondée sur le récit d'un écrivain russe Tendriakov, histoire elle-même adaptée d'un fait divers. Ce film narre l'histoire d'un garde-pêche (formidable Alexeï Guskov !) qui applique de manière implacable la loi russe. Sans indulgence, ni compassion il punit quiconque oublie d'y obéir. Il semble sans cesse armé du glaive de la justice et demeure une âme solitaire qui, en perdant foi en l'autre, a aussi un peu perdu de lui-même. La scène d'ouverture du film montre à quel point sa vie aux côtés de son épouse (Nadezhda Markina vue en France dans les films Elena d'Andreï Zviagintsev et Dans la brume de Sergeï Loznitsa) n'est qu'une suite de rituels mécaniques, sans humanité. Une scène qui ressemble trait pour trait aux rapports qu'entretenaient déjà Elena avec son mari Vladimir dans le film éponyme cité plus haut. Ici pas de mondes et de classes sociales opposés, simplement un manque de communication, une sécheresse affective qui a pris place depuis trente ans.

Après avoir dressé un procès-verbal à l'encontre d'un groupe qui s'est permis de pêcher du poisson dans le lac, Trofim est assommé par l'un deux. Il se retrouve alors dans les dédales d'une nature hostile qui va le conduire vers une cabane où il fait une bien étrange découverte : celle d'un bébé laissé-là par sa mère. Faisant fi de la solitude qui sera sa seule compagne et d'une nature silencieuse mais qui pourrait le dévorer, Trofim va malgré lui conduire cette petite fille vers son tombeau. Il n'aura alors de cesse de retrouver la mère de l'enfant afin de la juger comme il se doit. Qui est criminel : cet homme ? Cette mère ? La nature elle-même ? Peut-on retrouver son humanité après avoir soi-même tué au sens propre ou bien de manière symbolique ? Ce sont les interrogations de ce film dont l'issue heureuse peut sembler mal venue mais qui est aussi une formidable leçon d'optimisme.

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Quelques mots sur le distributeur du film en France

Outre le jeu aussi sensible que puissant des acteurs, on ne manque pas d'apprécier le regard porté sur les peuples vivants dans les régions du nord de la Russie et leurs traditions notamment religieuses. La scène de l'enterrement d'une femme selon les rituels des vieux Chrétiens rappelle les images du film Les chevaux de feu (1966) de Sergeï Paradjanov. Les rituels de ces peuples mais aussi leur vie au sein d'une nature prête à leur rappeler qu'elle est toute puissante et qu'elle donne la vie autant qu'elle la prend (revoir à ce propos les images de la mort du père d'Ivan dans ce même film) et que seuls peut-être les animaux peuvent en demeurer les hôtes.

Certaines scènes semblent sorties d'un rêve voire d'un cauchemar dont on s'éveille sans vraiment savoir distinguer le vrai du faux. On pense un peu à ce père dans le film Le retour (A. Zviagintsev, 2003) dont on ne sait pas vraiment si l'odyssée aux côtés de ses enfants est le fruit d'un rêve ou si elle est bien réelle … Notons aussi la présence discrète et apaisante de la musique du film, composée par Panu Aaltio pour la partie instrumentale et la chanteuse russe Taisia Krasnopevtseva, membre du groupe Bio trio dont la voix ne cessera de vous hanter dès les premières notes.

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Sitographie

Site du film : http://www.criminel-lefilm.com et page FB https://www.facebook.com/criminel2016 
Site de la maison d'édition Boréalia : http://borealia-boutique.com et page FB https://www.facebook.com/borealiafilms/?fref=ts
Vidéo Youtube pour découvrir le chant de Taisia Krasnopevtseva : https://www.youtube.com/watch?v=mTAVPxXETJs et sa pagevKontakte http://vk.com/taya_k

À noter :

La nouvelle "La trouvaille" qui a inspiré le film est disponible aux éditions Borealia http://borealia-boutique.com/produit/la-trouvaille-vladimir-tendriakov

Crédits photographiques :  © Borealia

Andreï Makine à la rencontre des lecteurs nantais

Andrei Makine

Depuis le mois d'octobre la ville de Nantes héberge plusieurs manifestations littéraires et artistiques russes. La ville qui a notamment récemment accueilli le traducteur André Markowicz donne carte blanche le 8 novembre 2014 à l'écrivain Andreï Makine.

Son Testament français publié en 1995 avait fait découvrir un écrivain amoureux de la langue française. Ce roman qui retraçait son parcours de vie et, tel le narrateur de la Recherche du temps perdu, sa naissance au monde de l'écriture était rédigé dans ce français qu'il avait appris à parler et à aimer dès son plus jeune âge. Le roman avait séduit, entre autres, le jury du Goncourt des lycéens qui avait choisi de lui décerner son prix. Mais outre cet emploi de la  langue française aussi élégante qu'habile, ce qui séduit chez Makine est cette aisance à adopter le point de vue de nombreux personnages, de femmes notamment. Son dernier roman paru en janvier 2014 chez Grasset est Le pays du lieutenant Schreiber.

Informations pratiques

Rencontre puis séance de signatures le samedi 8 novembre 2014 à 16H à la Médiathèque Jacques Demy de Nantes : 24, quai de la Fosse 44000 Nantes  24, quai de la Fosse Tél. 02 40 41 95 95 (tramway L1 arrêt Jacques Demy)

Crédit photographique ©  Murielle Lucie Clément